par Andres Marti
Raphael Sznitman dirige le nouveau Centre pour l'intelligence artificielle fondé par l'Université de Berne et l'Inselspital. Les nouvelles technologies suscitent de grandes attentes. Mais elles comportent également des risques.
Monsieur Sznitman, allons-nous bientôt être opérés uniquement par des robots ?
Le fait d'utiliser des robots pour opérer n'est pas nouveau. À l'Inselspital, nous avons également développé des prototypes de ce type au cours des dernières années. Toutefois, le chirurgien assume toujours la responsabilité de ces opérations assistées par robot. À mon avis, cela ne changera pas de sitôt. Pour l'instant, il s'agit plutôt d'améliorer l'interface entre l'homme et la machine.
Berne, en tant que pôle médical, mise beaucoup sur l'intelligence artificielle (IA). Pouvez-vous citer un exemple concret de son utilisation en médecine ?
L'IA peut également être utile pour répondre à des problématiques médicales totalement nouvelles, telles que la manière de diagnostiquer rapidement et de manière fiable le Covid-19 et d'adapter le traitement à chaque personne affectée. Un autre exemple récent est celui d'une étude menée par l'Inselspital et l'Université de Berne, qui montre que l'IA peut évaluer de manière fiable les compétences des chirurgiens. Il s'agit d'une étape vers le développement de systèmes d'assistance qui permettent d'aider les chirurgiens pendant l'opération – par exemple en les avertissant lorsqu'ils détectent des signes de fatigue et en contribuant ainsi à la prévention de complications.
Dans quels autres domaines l'IA sera-t-elle utilisée en médecine ?
L'IA a atteint aujourd'hui un niveau très avancé, notamment dans le domaine de la reconnaissance automatique d'images – pensez par exemple aux logiciels de reconnaissance faciale ou aux systèmes de conduite autonome. Il s'agit d'alimenter le logiciel avec le plus grand nombre possible d'images et de l'entraîner ainsi à reconnaître certains schémas. Dans le domaine de la médecine, l'IA est actuellement particulièrement intéressante pour aider à établir un diagnostic. Des programmes auto-apprenants pourraient par exemple permettre à l'avenir de détecter plus tôt un cancer sur des radiographies.
Et qui assume la responsabilité si le logiciel ne détecte pas la tumeur ?
Actuellement, la plupart des systèmes sont uniquement programmés pour émettre une recommandation. Ils identifient des anomalies, mais c'est toujours le médecin qui assume la responsabilité. L'IA doit avant tout être un outil complémentaire permettant d'alléger les tâches du personnel de santé.
À l'avenir, l'IA devrait également être utilisée en médecine d'urgence. Comment ?
Outre l'aide au diagnostic, l'IA pourra également être utilisée pour la prise de décision. Imaginez que c'est Nouvel An et que le service des urgences de l'Inselspital est bondé de patients. Qui doit être traité en premier ? Qui court le plus grand risque de mourir ? Un logiciel pourrait faire des recommandations en tenant compte du plus grand nombre possible de données et faciliter ainsi le triage.
Pourquoi une machine ferait-elle cela mieux qu'un médecin bien formé ?
Les humains aussi comparent des données et recherchent des modèles et des règles. Mais pour les grandes quantités de données, les machines sont beaucoup plus rapides et donc plus efficaces que nous.
Le Centre pour l'intelligence artificielle ouvre ses portes non seulement avec le groupe de l'Inselspital, mais aussi en partenariat avec les Services psychiatriques universitaires. Qu'est-ce que la psychiatrie a à voir avec l'IA ?
Je ne suis pas un expert en la matière. Mais ici aussi, il est question d'une part de reconnaissance d'images. De nos jours, les scanners cérébraux permettent déjà de détecter des maladies ou des prédispositions psychiques. L'IA pourrait également permettre de détecter des maladies à un stade précoce et de proposer des thérapies adaptées. Par ailleurs, la collecte de données provenant de capteurs d'environnement pourrait à l'avenir indiquer si la santé psychique d'une personne se détériore.
Cela semble effrayant.
Il est clair qu'à l'avenir également, les diagnostics de maladies psychiques ne seront établis qu'après un entretien avec des spécialistes. Et il est important que ces questions prennent toujours en compte les aspects éthiques. C'est pourquoi notre centre dispose d'un laboratoire d'éthique intégré.
Le recours à l'IA dans le domaine de la santé reste toujours délicat : Aux États-Unis, par exemple, ils utilisent un logiciel qui permet d'identifier les personnes ayant des besoins particuliers en matière de soins. Or, il a été constaté qu'à gravité de maladie égale, les Noirs étaient moins souvent proposés que les Blancs.
C'est ce qu'on appelle les biais de l'IA, c'est-à-dire les distorsions involontaires dues à une programmation défaillante. Cela peut également se produire si l'on alimente les programmes avec des données provenant uniquement d'hommes, par exemple, ce qui entraînerait une discrimination des femmes. De telles erreurs doivent absolument être évitées ! Mais la recherche en IA est aujourd'hui consciente de ces problèmes.
La recherche en intelligence artificielle nécessite de grandes quantités de données. Comment garantir en même temps la protection des données ? Par exemple, pour les radiographies : faut-il l'accord des patients ?
Sans le consentement des patients, nous ne pouvons pas utiliser leurs données, c'est la règle. Et comme pour toutes les études cliniques, nos projets de recherche doivent toujours être approuvés par la commission d'éthique.
Mais pour votre recherche, il serait préférable que vous puissiez utiliser autant de données que possible, non ?
Cela ne correspond pas à ma propre expérience. Outre la quantité, la qualité des données est extrêmement importante. Je ne peux pas simplement prendre toutes les images de l'Inselspital et les utiliser pour entraîner un logiciel à la détection du cancer. Un cancer du poumon ne ressemble pas à un cancer de la vésicule biliaire. Pour qu'un système d'IA fonctionne, il est donc essentiel de disposer de données bien préparées.
Jusqu'à présent, Berne n'a guère fait parler d'elle dans le domaine de la recherche en IA. Tout se joue à Zurich, où se trouvent l'ETH et Google.
Bien sûr, d'autres villes mènent également des recherches en matière d'intelligence artificielle. Mais la force de Berne réside dans la collaboration étroite et institutionnalisée entre l'informatique, l'ingénierie et la médecine. C'est un cas unique en Suisse, et c'est ce qui nous a permis, à maintes reprises, de traduire directement les résultats de la recherche en applications cliniques. Notre centre collabore avec l'institut sitem-insel en vue de renforcer ce processus translationnel.
Qu'est-ce que les progrès technologiques apportent réellement aux patients ? De meilleurs soins de santé ? Des primes moins élevées ?
Je ne me risquerai pas à faire des pronostics concernant les primes, car leur montant dépend de nombreux facteurs différents. Mais je suis convaincu que les progrès technologiques bénéficieront en fin de compte aux patients. C'est surtout au niveau de la prévention que cela permettra de faire de grands progrès. Pensez par exemple aux applications qui nous encouragent à faire plus de sport ou à mieux nous alimenter.
Et qu'est-ce que l'IA apporte au personnel sanitaire ?
L'IA pourrait permettre de libérer le personnel médical de tâches fastidieuses, ce qui lui permettrait de passer plus de temps avec les patients.
Propos recueillis par Andres Marti. Première publication de l'interview le 19.03.21 dans « Der Bund ». Texte reproduit avec l'aimable autorisation de la rédaction.
Unique en Europe
(cdh) – Le centre ARTORG (Artificial Organ Center for Biomedical Engineering Research) a été fondé en 2008 par l'Université de Berne et l'Inselspital comme centre de recherche stratégique. Il mène une recherche translationnelle, qui consiste à jeter des ponts entre la recherche fondamentale et l'application pratique dans la prise en charge des patients. Le centre ARTORG développe des solutions techniques aux problèmes cliniques, qui permettent par exemple d'améliorer les diagnostics ou les traitements. Le fait de réunir les cliniques et la recherche en technologie médicale au sein d'une faculté de médecine confère au centre ARTORG un caractère unique en Europe et en dehors des États-Unis. On y développe entre autres des organes artificiels sur puce, des systèmes robotiques dans le domaine de la chirurgie et de la rééducation, des implants de valves cardiaques exempts de défaillances, de nouveaux traitements contre l'incontinence urinaire et les acouphènes, ainsi que des applications pour smartphones basées sur l'intelligence artificielle, qui servent d'aide au diagnostic ou d'assistance quotidienne pour les diabétiques. |