asut-Bulletin
Neue Arbeitswelten
Ausgabe
03/2017
Nous ne pouvons pas assister en spectateur à la révolution numérique

Home office, co-working, co-création: entretien au sujet des mondes du travail de l’avenir avec Barbara Josef, cofondatrice d’une entreprise de conseil spécialisée dans les nouveaux modèles de travail.

Le progrès technique influence depuis toujours notre façon de travailler. Cependant, le virage numérique pourrait apporter des bouleversement encore plus manifestes. Partagez-vous ce point de vue?

Il faut analyser cette évolution à deux niveaux. Le plus grand bouleversement est certainement celui que Frey et Osborne ont décrit dans leur étude en 2013: ils y ont démontré que 47% des emplois actuels possèdent un important potentiel d’automatisation. Justement en Suisse, où les capitaux nécessaires sont disponibles, l’automatisation deviendra certainement un thème majeur. L’automatisation peut tout à fait devenir une chance et apporter des avantages pour tous si nous menons sérieusement la deuxième discussion qui y est associée: comment créer des conditions-cadres optimales pour que les tâches restantes – si complexes et exigeant tant de créativité et de flexibilité – ne puissent justement pas être automatisées? Des pointeuses et une vie quotidienne morne au bureau ne permettront bien évidemment pas de retenir les personnes qui sont capables de les assumer.

Que se passera-t-il avec les autres? Le syndicat Syndicom écrit: «Le clivage entre ceux qui décident de la technique et ceux qui la font fonctionner va s’élargir, à l’image du fossé entre riches et pauvres.» Entre deux se trouve un grand vide. Que faire avec tous les employés au guichet, le personnel de vente, les prestataires de services dont le travail n’est plus nécessaire et ne sera d’ailleurs plus rémunéré?» Faut-il les «mettre au rebut» en leur proposant un revenu de base inconditionnel?

Les emplois faiblement qualifiés ne sont pas les seuls menacé, comme le travail de caissière que le self-scanning rend obsolète. Les emplois très qualifiés sont également concernées: désormais, des machines sont par exemple capables d’assumer les calculs hautement complexes effectués par les statisticiens. La question de savoir comment notre société va gérer cette évolution se posera tôt ou tard. Le revenu de base inconditionnel est une voie envisageable. Il permettrait d'assurer que ceux qui possèdent le capital pour financer les machines ne soient pas les seuls à profiter du gain d'efficacité engendrée par l'automatisation. Mais pour moi, ce genre de reflexions ont une degré de résignation trop fort: la responsabilité individuelle et l'incitation à la performance sont des éléments clé de notre économie.

Donc, nous n’allons pas forcément vers un monde de machines maniées par quelques privilégiés et peuplé de millions de chômeurs ?

Nous devons faire en sorte que les gens ne se retrouvent pas dans une impasse, parce que soudainement leurs compétences ne sont plus demandées. Cela demande, d’une part, la volonté de faire régulièrement le bilan de ses compétences et de mettre à jour ses connaissances. D’autre part il faudrait que la société reconnaisse aux individus le droit (et leur fournisse l’appui financier nécessaire) de se réorienter tout au long de leur parcours professionnel. Peu importe si on appellera cela un congé sabbatique ou une période temporaire de revenu de base inconditionnel. Ce qui importe c’est que l’orientation professionnelle ne se plus une fois pour toutes à 16 ans, mais en permanence. La société dans son ensemble en sera gagnante : un grand nombre de personnes ne découvrent leurs vrais talents et leurs points forts que sur le tard – dommage d’en faire juste un hobby.

La formation joue ici un rôle essentiel. D’une part, nous devons transmettre des compétences nouvelles – comme l’auto-réflexion ou la pensée critique –, de l’autre il s’agit de transmettre le goût de la formation continue et l’aptitude d’aborder les changements de manière constructive. Nous devons faire en sorte qu’un maximum de personnes soient en mesure de s’adapter aux changements et de trouver leur place dans la société. Le plan d’études romand va dans la bonne direction : il prévoit le développement de nouvelles compétences, ambitionne de préparer les écoliers à gérer la complexité et encourage la pensée critique, ce que l’école avait plutôt tendance à sanctionner par le passé. À l’avenir, il s’agira d’apprendre ensemble, les uns des autres, de rendre le savoir-faire visible et de le mettre en réseau.

Retour sur ceux qui travaillent aujourd’hui. Les appareils mobiles existent depuis un certain temps déjà. Pourquoi le thème de la flexibilisation du monde du travail est-il subitement dans toutes les bouches ?

Parce qu’aujourd’hui, de nombreux changements différents coïncident. Pour commencer, les appareils sont devenus plus petits et donc plus facilement transportables. A cela s’ajoute le cloud et la tendance de passer de la productivité individuelle à la collaboration sociale. Lorsqu’IBM a introduit le home office voilà 15 ans, cela voulait simplement dire que les collaborateurs pouvaient accomplir une partie de leur travail depuis chez eux.

Aujourd’hui, les nouvelles formes de travail offrent la possibilité d’instaurer une culture favorisant la responsabilité individuelle et d’esprit entrepreneurial et d’envisager des formes de collaboration et de partage du savoir inédites. Cette évolution a insufflé un nouvel élan au thème de la mobilité. Aujourd’hui, on expérimente à tout va : nouveaux types de locaux, espaces de co-working, zones de rencontre ou possibilités d’équiper les bâtiments de manière plus intelligente et de mieux gérer leur infrastructure. A cela s’ajoute une « couche digitale » qui permet de relier les collaborateurs d’une façon tout à fait nouvelle. Ma tablette pourrait ainsi m’informer qu’un collègue possédant les compétences requises pour mon projet vient de pénétrer dans le bâtiment. Le système de synchronisation automatique de nos agendas révèle un créneau disponible dans une heure : pourquoi ne pas prendre un café ensemble et discuter de la question de vive voix ? « Digitalisation » n’est donc pas un synonyme de moins de contacts sociaux ou d’une interaction par seule technologie interposée.

Lorsque je regarde autour de moi, je ne vois que peu d’exemples de nouveaux modèles de travail plus flexibles, davantage tournés vers la création. La prestation de travail reste généralement assimilée au temps de travail accompli.

Il n’existe pas non plus de relation linéaire ici : la flexibilité ne stimule pas forcément la créativité et les choses ne s’améliorent pas d’un coup de baguette magique si tout le monde emporte son ordinateur portable dans un jardin public ou travaille toute la nuit. Du fait de la complexité accrue des tâches, de la difficulté croissante à définir avec précision le profil des postes, il est cependant nécessaire de laisser une marge de manœuvre plus importante aux collaborateurs et de leur offrir la possibilité d’adopter une attitude entrepreneuriale. Avec une culture du travail où la présence reste le seul indicateur du travail accompli, il n’est pas possible de mettre en place de telles incitations. Les entreprises concernées ne sont donc pas dans une position de recruter les anticonformistes innovatifs innovatifs, mais doivent se contenter de collaborateurs qui quittent leur poste à cinq heure tapantes.

Plus de liberté, synonyme de plus de confiance ?

Certains emplois où la performance est corrélée avec les heures de présence et le rendement subsisteront à l’avenir également. Dans le cas du personnel de vente par exemple il est judicieux de maintenir la saisie des heures. Mais pour les travailleurs du savoir – pas moins de 45% des salariés en Suisse – nous devrons en revanche réfléchir à ce que nous souhaitons mesurer à l’avenir – la mesure du temps deviendra un élément secondaire. La confiance est essentielle lorsqu’il s’agit d’accorder plus d’autonomie aux gens ­– ce qui ne signifie que les nouvelles formes de travail s’apparenteraient à une culture de laissez-faire. Diverses études ont mis en évidence que trop de confiance peut au contraire avoir un effet démotivant puisque cela est souvent ressenti comme un manque d’intérêt. Il s’agira de rendre visible la contribution des individus et des équipes : des technologies nouvelles telles que les plateformes d’Enterprise Social Networking y contribueront à créer la transparence.

La technologie est-elle l’unique moteur de la tendance à une flexibilisation des modèles de travail ou les problèmes d’infrastructure comme les trains et routes surchargés jouent-ils également un rôle ?  

La réflexion sur le développement durable et les évolutions sociétales sont certainement un facteur. S’y ajoute l’arrivée d’une nouvelle génération qui a grandi avec d’autres appareils et les utilise d’une façon totalement différente de la nôtre. Les milieux scientifiques ont identifié quatre tendances classiques : le progrès technologique, la mondialisation, l’évolution démographique et les conditions-cadres institutionnelles, qui influencent le fonctionnement des entreprises à l’interne et vis-à-vis du public.

Cette flexibilisation ne risque-t-elle pas de remettre en question la protection du travail conquise de haute lutte ?

Des ruptures aussi radicales que celles provoquées aujourd’hui par l’automatisation croissante doivent naturellement s’accompagner d’une discussion avec toutes les parties prenantes. Mais j’ai du mal à accepter que l’on tente de faire obstacle au progrès simplement par peur du changement. Au moment du lancement du Home Office Day en 2009 par exemple, les syndicats n’ont considéré que les risques de surexploitation des travailleurs – une telle attitude négative et réactionnaire n’amène rien à personne. Nous ne pouvons pas nous contenter d’assister en spectateur au virage numérique. Mais je suis naturellement consciente que je me trouve du côté de ceux qui profitent du changement. L’époque à laquelle nous vivons est très prometteuse pour les indépendants, les personnes avec un bon bagage professionnel, un bon réseau de relations, de la passion et un esprit d’entrepreneur. Les choses sont différentes pour un chauffeur de taxi qui perd sont travail à cause d’Uber.

L’un de vos articles de blog évoque un CEO qui a récupéré l’idée d’introduire le home office lors d’un cours de CAS «Digital Leadership» – et échoue lamentablement lors de sa mise en œuvre.

Je ne crois pas que chaque entreprise doive introduire coûte que coûte de nouveaux modèles de travail.  Mais ceux qui s’y décident doivent le faire de manière conséquente et authentique – sinon elles risquent de créer des attentes démesurées et des frustrations. Nous vivons une période d’incertitudes et il ne s’agit pas de mettre sur pied le projet parfait qui change toute l’organisation du fond au comble, mais d’expérimenter autant que possible et d’apprendre tous ensemble. C’est pourquoi je plaide pour de petits projets pilotes mis en œuvre efficacement et de manière crédible. Car c’est exactement là que résident les chances de l’ère numérique : repenser le travail et le renégocier afin que tout le monde soit gagnant.

Barbara Josef

Barbara Josef est cofondatrice de 5to9 AG. Auparavant, elle était responsable de la communication chez Microsoft Suisse et a notamment cofondé et dirigé le projet «Home Office Day». Enseignante du primaire, elle a étudié l’économie d’entreprise à l’Université de St-Gall. 

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