L’ITS World Congress est la plus grande manifestation mondiale consacrée à la mobilité pour les «systèmes de transport intelligents». Pendant une semaine, plus de 15 000 participants et 400 exposants du monde entier sont attendus afin de discuter des défis et des solutions dans le domaine de la mobilité. Avec des partenaires de l’industrie, de l’économie et de la recherche ainsi que des autorités fédérales responsables, la ville et le canton de Zurich ainsi que l’association its switzerland se portent candidats afin d’organiser en 2024 le congrès qui se tient chaque année, alternativement aux Etats-Unis, en Asie ou en Europe. Entretien avec Arnd König,
asut: Pourquoi la Suisse est-elle prédestinée afin d’accueillir l’ITA World Congress 2024?
Arnd König: En matière de mécanisation, d’automatisation et de numérisation des transports, la Suisse possède de nombreux atouts. Ainsi qu’une longue tradition. Tout a commencé avec les transports transalpins: passer des mules aux diligences, puis des diligences aux trains était déjà une sorte de mobilité intelligente, parce que cela rendait possible le transport et la circulation des personnes dans un cadre de plus en plus pertinent. Et cette tradition suisse des solutions de transport intelligentes s’est poursuivie: prenons par exemple les pionniers de l’ e-bike de ces 20 dernières années ou, très récemment, la facturation des tickets de transport public en fonction du mouvement et sans contact : il s’agit d’exemples de renommée mondiale.
La Suisse est donc le pays des pionniers du transport?
Exactement. Et pas seulement en ce qui concerne le passé et le présent. Avec des visionnaires dans le domaine de l’aéronautique ou dans le secteur automobile, nous sommes également parés pour l’avenir. Connecter les différents modes de transport entre eux, de manière intelligente, constitue un défi immense. Mais lorsque l’on s’intéresse à des recueils actuels de services de mobilité efficaces comme trafik.guide par exemple, on remarque que beaucoup de solutions ont été développées en Suisse. Ici, il existe un énorme potentiel et beaucoup d’exemples réussis en matière de mobilité intelligente. Notre candidature s’appuie sur cet esprit pionnier suisse.
Et pourquoi à Zurich?
Parce ce que du point de vue de la planification des transports, Zurich est la plus grande agglomération de Suisse et sans doute l’espace le plus intéressant: de nombreux projets innovants y sont visibles. De plus, Zurich est aussi facilement accessible à l’international et, que ce soit au niveau cantonal ou communal, le sujet de la numérisation et les bouleversements correspondants dans le domaine des transports y jouent un rôle important au niveau politique afin de préparer le réseau routier aux défis du futur. L’administration cantonale accompagne par exemple des projets de recherche de différentes tailles pour la conduite automatisée ou concernant les conséquences écologiques de la numérisation sur la circulation.
ITS signifie «Intelligent Transport Systems». Quand est-ce qu’on peut dire que des systèmes de transport sont «intelligents»?
C’est une question qu’évidemment, nous nous posons aussi. Plus sérieusement: on peut se demander si «intelligent» constitue un tant soit peu le terme approprié. En effet, on pourrait aussi affirmer que le moyen de transport le plus intelligent est le vélo, lequel en soi n’a rien à voir avec la numérisation. Dans le domaine de la mobilité intelligente, l’intelligence constitue la tentative de développer une interconnexion la plus complète possible. Et pour ce faire, bien entendu, des plateformes numériques sont nécessaires. Que ce soit pour compléter l’exploitation des transports publics avec des moyens de transport lents et des modèles de partage, ou bien afin de permettre aux utilisateurs de profiter de manière optimale de cette connexion grâce à des applications pour smartphone faisant office d’assistants personnels. Le deuxième terme frappant qui est lié à la mobilité intelligente est l’efficacité: d’une part l’efficacité spatiale, c’est-à-dire l’exploitation optimale des structures existantes dans l’espace disponible. Et d’autre part l’efficacité énergétique. En plus de la simple diminution des émissions de substances nocives au niveau des transports, il s’agit aussi d’aspects importants ayant non seulement des effets écologiques, mais également économiques.
Dans le domaine des transports, quels sont les principaux problèmes à venir ces prochaines années?
De mon point de vue de la planification des transports dans l’agglomération de Zurich, il s’agit sans doute en première ligne de la croissance de la population entraînant une augmentation de la circulation et du nombre de trajets. Actuellement, notre infrastructure est déjà surchargée aux heures de pointe. Par conséquent, le défi visant à résoudre le problème avec la même surface de circulation est complexe. Au sein d’un espace présentant une telle densité de population, il est quasiment impossible de construire de nouvelles routes. De plus, aujourd’hui, nous savons que cela ne serait pas efficace, en effet, l’offre sera toujours à la traîne par rapport à la demande. Par conséquent, la solution doit être l’optimisation de notre offre avec la même surface, c’est-à-dire devenir plus efficaces afin d’offrir davantage de prestations. C’est ici qu’il nous faut une technologie intelligente.
La "Future ITS Wheel" montre les solutions déjà existantes pour tous les défis dans le secteur de la mobilité (source : its2024.ch)
D’un point de vue international, l’ensemble de la Suisse est comparable à une métropole de taille moyenne comptant huit millions d’habitants. Par conséquent, est-ce que nos solutions de transport sont intéressantes pour les autres pays?
L’urbanisation augmente partout dans le monde et de nombreuses zones urbaines rencontrent des problèmes très similaires: il est donc tout à fait possible de tirer des enseignements de la Suisse et inversement. Les problèmes sont généralement situés là où les systèmes de transport sont déjà surchargés aujourd’hui, et nous pouvons présenter des solutions pour y remédier. Et en ce qui concerne le problème opposé, donc là où l’accessibilité diminue en raison du prix trop élevé de l’offre pour les périphéries moins densément peuplées, nous pouvons également proposer des approches intéressantes afin de connecter un petit nombre de passagers d’une manière intelligente et économique. Dans de nombreux endroits en Europe, il s’agit d’un défi d’actualité.
Est-ce que l’ITS World Congress se conçoit comme une vitrine pour de telles solutions?
Le congrès aura lieu dans quatre ans. Dans le domaine de la numérisation, nous serons alors déjà passés à la génération suivante et nous aurons à disposition de nouvelles possibilités. Il ne peut donc pas uniquement s’agir de présenter des solutions de mobilité intelligentes toutes faites actuelles. Celles-ci seront peut-être déjà dépassées. De plus, ERTICO, l’association faîtière européenne qui attribue le congrès accorde de l’importance à ce que celui-ci contribue à stimuler les développements. Par conséquent, le congrès est conçu comme une sorte d’exposition mondiale où, à l’aide de projets concrets, nous montrons comment il est possible d’aborder les défis de la mobilité de l’avenir, ici et ailleurs. Et durant laquelle, avec des participants du monde entier, nous réfléchissons à ce qui reste à faire et à la manière dont les connaissances déjà acquises peuvent être utilisées afin d’avancer. Cette exposition est donc le lieu idéal pour que l'industrie suisse des transports présente des solutions au monde entier. Ces produits sont développés aujourd'hui et pourraient être prêts pour la production dans quatre ans. Un moment idéal pour les jeunes entreprises comme pour les entreprises établies. Et nous, dans la région zurichoise, nous espérons précisément obtenir cette impulsion de développement et l’impact à l’extérieur correspondant en 2024.
La pandémie a freiné la société hypermobile pendant des semaines et mis en cause la mobilité de masse: écoles fermées, employés en télétravail, transports publics délaissés parce que les personnes préfèrent prendre la voiture seules plutôt que de risquer de se contaminer, et le boom du vélo. De quoi bouleverser significativement les plans de mobilité intelligente des planificateurs du secteur des transports?
Bien sûr, dans la planification classique des transports, il ne s’agit pas uniquement de numérisation, mais plus généralement de concevoir les surfaces de circulation de manière à garantir une exploitation accessible à tous, responsable et écologiquement efficace. Pour cela, la réduction du trafic constitue le meilleur moyen et le plus économique. Le télétravail est un très bon moyen pour y arriver: depuis longtemps, les spécialistes de transports ont conscience du fait que la circulation peut diminuer de 15% pendant la semaine si tout le monde travaillerait à la maison une journée par semaine – c’est un calcul sommaire évident pour tout le monde. Mais quelquefois, le système est lent et n’a jusqu’à présent pas utilisé toutes les possibilités de planification à notre disposition. Peut-être que le virus et le confinement entraîneront une évolution des mentalités. Il ne s’agit pas forcément de circuler de manière intelligente, mais aussi de rester intelligemment à la maison ou d’utiliser le vélo. Au final, cela contribue également à réduire les embouteillages, les pertes de temps et les extensions des infrastructures existantes. Ce sont des avantages économiques.
Quand saurons-nous si la Suisse et Zurich organiseront l’ITS World Congress 2024?
La candidature a été transmise en février. En juin, nous avons pris part à un entretien et à la fin de l’été, c’est-à-dire très bientôt, nous saurons si nous sommes la «Preferred City». Ensuite, des négociations relatives à la préparation et à l’organisation du congrès auront lieu et à la fin de l’année, tout devrait être signé. Les choses sérieuses commenceront alors. Dès maintenant, nous ressentons un grand soutien de la part des pouvoirs publics. Par contre, l’industrie reste encore un peu en retrait. J’espère que cela changera rapidement, car ceux qui ne sont pas de la partie passent sans doute à côté d’une grande opportunité. En effet, ce congrès est une locomotive et fera avancer considérablement le secteur suisse des transports aujourd’hui encore très morcelé vers une mise en réseau plus complète.